Texte écrit pour le cabaret des auteurs du dimanche de ce soir, sur le thème MAIS


Un narcissisme sain vaut-il mieux que deux ignorances béates ?

J’étais élitiste avant que ce soit mainstream. Quand j’avais à peu près 6 ou 7 ans, mes parents m’ont amené visiter une madame, Madame Rouleau, qui gardait des enfants de mon école le midi. Quand elle a demandé à ma mère si j’avais des allergies, tout de suite après qu’elle lui ait répondu que j’étais allergique au poisson, j’ai interjeté : « Oui mais le homard et les crevettes par exemple, je peux en manger ! »

Cette pauvre dame qui faisait son « pâté chinois » en mélangeant dans une poêle du steak haché et des patates Sherriff en poudre, a dû me regarder comme si j’étais l’antéchrist.

Je n’ai rien aimé ensuite de ce qu’elle nous faisait comme repas du midi, tant et si bien que ce sont mes parents qui se sont mis à me faire des lunch, pour aller les manger chez Madame Rouleau.

Quand j’étais enfant, je n’allais pas voir des spectacles poches de marionnettes pour nous apprendre à regarder des deux côtés en traversant, j’allais écouter des concerts de L’OSM et voir des films d’auteur (Éric Rohmer, anyone ?...). C’est justement grâce à la scène du salon de massage dans le Déclin de l’Empire Américain, vue à 11 ans, que j’ai compris ce que c’était que se masturber. Quelques jours plus tard, dans les toilettes des Petits Chanteurs du Mont-Royal, pas dans une vulgaire toilette d’école publique, je mettais mes connaissances en application.

D’ailleurs, pour être admis aux Petits Chanteurs, il fallait déjà avoir des bonnes notes à notre ancienne école, quand ils venaient nous chercher en troisième année. Et même rendu là-bas, je me faisais traiter de nerd, parce que même rendu là-bas, j’avais des meilleures notes que les autres, et je lisais des livres pendant la récré, au lieu d’aller jouer au ballon-poire.

Quand tu vas aux Petits Chanteurs, après tu passes directement au Collège Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, établissement privé, à l’époque tenu par des prêtres. Et évidemment, j’étais dans un des groupes de latin fort en secondaire un. Puis dans le seul groupe qui continuait à étudier cette langue morte en deuxième et troisième. Puis chimie-physique en 4 et 5. J’étais dans l’harmonie, première trompette en secondaire 5.  On a même enregistré un CD avec Simon Leclerc – tsé le gars qui dirigeait Montréal Symphonique l’été dernier ? Ah oui pis qui dirige l’orchestre en Italie sur le DVD de Mika ? Ouep; ce gars là m’a déjà dit que j’étais pas ben bon… mais au moins sur notre CD j’avais un solo. Pas un gros solo, mais un solo, nevertheless.

Alors que tout le monde parle bêtement du dernier film de Brad Pitt, parce que tsé, ils pensent que c’est l’acteur connu qui fait sa qualité, moi je sais probablement c’est qui le scénariste. Aux oscars, je suis plus excité par le prix pour le meilleur scénario original, que pas le meilleur film. (fuck les producteurs…)

Si tu me demande c’est qui mon humoriste préféré, je te dirai pas Mike Ward ou même Mario Jean, mais je vais plutôt mentionner Steven Wright ou Andy Kaufman. Au pire Pete Holmes ou Monty Python.

Je n’écoute à peu près rien comme émission de télé québécoise. Pas parce que je veux pas, mais parce que je trouve toujours que ça veut se prendre pour une autre émission meilleure. Unité 9 ? C’est Orange is the New Black sans les blagues. Les beaux Malaises ? Curb Your Enthousiasm sans la deadpan crankiness de Larry David. La Voix? eeehhhhh….. vraiment?

Y a juste les Chefs que je regarde religieusement, pis c’est seulement parce que c’est une émission élitiste avec trois juges élitistes de restaurants élitistes qui rabaissent des jeunes déjà élitistes qui cuisinent des aliments élitistes, et dont le gagnant va aller faire un stage dans des établissements élitistes étoilés par un guide élitiste.

Si tu me demandes quelle musique j’écoute, je te répondrai probablement : « Rien que tu puisse connaître… »

Je bois de la IPA, ou de la Grolsch ; quand je bois de la bière, parce que, en ce moment, j’adopte de plus en plus un mode d’alimentation qui va au-delà du banal low carb, même du low carb keto, pour entrer dans le domaine de la « carnivorie », où je ne mange que des produits du règne animal. Je suis élististe au point de cracher même sur une botte de kale ou un smoothie à la spiruline, ces aliments demeurant beaucoup trop prolétaires pour moi…

Longtemps, j’ai fumé des Gauloises.

Un des prénoms de ma plus vieille c’est Björk…

Je suis élitiste, j’te l’dis.

Et pourtant…

Régulièrement, je vais chanter des tounes de Claude François dans les karaoke. Quand je cheat sur ma diète je m’achète des Doritos pis du beurre de pinottes pis je finis le sac et le pot en regardant des films de Schwarzenegger (dont j’ignore le scénariste). Je porte pas mal toujours des jeans avec un T-shirt. Je prends le transport en commun ou sinon, on a une Yaris 2006, qui sent le calisse. Mes enfants sont dans un CPE public. Je reste dans Parc Extension, dans un appart mal éclairé et mal isolé, où les souris rasent les murs et où les coquerelles sortent des trous d’évier.

Et ce que je fais de plus professionnel comme activité ces temps-ci, c’est aller lire des textes dans des bars en échange d’un coupon de bière. Quand je dis à une femme que je l’aime, généralement c’est que je sais que je suis sur le point de péter.

On dirait que j’ai toujours besoin de me rappeler que je suis juste un être humain ordinaire, d’arrêter de pas me prendre pour de la marde.

Dans son livre Le Drame de l’enfant doué, la psychanalyste Alice Miller, constate que dans sa pratique clinique, sans consciemment s’en rendre compte beaucoup de ses patients oscillent entre une vision hyper idéalisée et une vision exagérément critique d’eux-mêmes. Seule une prise de conscience, un insight thérapeutique, peut les amener à devenir réalistes quant à leur réelle valeur intrinsèque.

Est-ce ce qui m’arrive ? Suis-je en train, devant vos yeux ébahis, de vivre l’épiphanie ultime ? Vais-je adopter sur-le-champ une personnalité parfaitement intégrée, et me mettre à employer systématiquement des mécanismes de défense évolués et matures, comme l’humour et la sublimation ? Vais-je enfin démontrer ma majesté, en devenant magnifiquement modeste et réaliste? Vais-je enfin étaler, pour votre plus grand bonheur, la preuve de mon omnipotence ?!!!

(Gros prout)

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